Nos âmes en chantier

Livre d'artiste, novembre 2015

Ce texte écrit pour accompagner six litographies de Said Baalbaki raconte l’enfance de l’artiste, la pierre, les vieux métiers, la végétation et  la disparition de Wadi Abou Jmil, quartier juif de Beyrouth.

Il a été traduit vers l’allemand pour la reprise de l’exposition à Berlin

Extrait

On raconte que les arbres qui y poussaient étaient aussi différents que les hommes qui y habitaient. Que dans les jardins privés et luxuriants, rivalisaient d’abondance arbres à sumac, palmiers, dattiers, orangers et cédratiers… Que les tubéreuses et les glaïeuls parfumaient les cérémonies cultuelles. Que les rosiers de la vallée embaumaient comme nulle part ailleurs sur cette terre. Que les confitures et les sirops qu’on en faisait avaient un goût unique, propre à la vallée.

Un goût inoubliable, même un demi-siècle plus tard, quand la vieillesse s’invite dans les mémoires et trie arbitrairement, demeurait l’odeur des rosiers.

On raconte qu’après ces rosiers-là qui étaient selon les dires « de vrais rosiers » aucune autre rose n’a jamais pu être à la hauteur. Et dans le même ordre d’idée, l’on dit qu’aucun océan, aucune mer n’a su offrir autant de légèreté, d’insouciance et de liberté que celle qui avait été bordée par l’Avenue des Français.

Ce sont ceux que l’on a délocalisés qui disent cela. Délocalisés pour des raisons géopolitiques. Des raisons plus géographiques qu’historiques, pour des questions de territoire et de revendication de territoire. Des questions aussi de rejet et d’absorption. Mais cela se dévoilera plus tard.